Dans ma quête des diverses cultures dans le monde, j’en avais négligé une, la plus proche, à environ 500 km de Paris, qui maintient une tradition étonnante : une recherche esthétique sous forme d’une coiffe qui tend à toucher le ciel. Onze femmes sont les garantes d’une mode, d’une partie d’un folklore, appelées à disparaître avec elles.

Mon ami Jean- François Robinet, ancien journaliste de la Première Chaîne de la Télévision française, me réveille un jour en me disant :

-« Il faut que tu ailles à Pont-l’Abbé, dans le Finistère.  Pars à la recherche des Bigoudènes ! Trouve-les ! ».

Une région, le pays bigouden, avec sa propre langue, ses propres danses, sa propre musique, et ses coiffes en dentelle, à l’élégante démesure, brodées fil à fil.

Je ne connaissais, alors,  les Bigoudènes que par les reproductions sur des boîtes de gâteaux bretons ; je pensais qu’elles avaient disparu depuis longtemps.

Je téléphone à la mairie de Pont-l’Abbé qui me conforte dans mon erreur, en me disant qu’elles sont toutes décédées.

Cet obstacle me fait rebondir et dans mes investigations je suis en contact avec un farouche Breton, Bruno, qui m’apprend qu’il existe encore onze Bigoudènes. C’est lui, justement, qui a en charge de les protéger, car parfois, on leur manque de respect.

Nous préparons avec ma femme, comme pour tous les autres voyages, le matériel, achetons le fond de toile, et prenons rendez-vous avec leur protecteur, pour rencontrer ces Bretonnes irréductibles.

Le rendez-vous est fixé au lendemain, au bord de cet océan aussi indomptable que les habitants de ses côtes. (Ce qui est très bien illustré dans « Astérix chez les Bretons. »)

C’est un Breton qui m’a appris à naviguer et j’ai failli le perdre dans une tempête en Atlantique. Moi, en train de contrôler les voiles, en pleine nuit sous l’orage et lui, couché, inanimé, sur le pont. Nous avons partagé des aventures extraordinaires, en compagnie des baleines et des requins. Nul autre pays n’a donné autant d’illustres navigateurs. Parfois, je viens m’isoler dans les îles de Bretagne, à la recherche de l’inspiration, près de ces flots emplis d’histoire, bordés de falaises hautes à donner le vertige,  avec ces vagues qui s’écrasent éternellement contre cette « fin de la terre ».

D’une petite maison de bord de mer, bien ancrée dans le sol en raison des vents violents, une femme sort en souriant, malgré ses réticences de poser pour un photographe colombien (Ce qu’elle avouera plus tard). Dans son regard extraordinaire, tout un pan d’histoire. Je mets toute ma diplomatie dans mes propos. Avec gentillesse et douceur, elle nous invite à entrer dans sa maisonnette, simple, mais bien rangée. (J’ai l’impression d’être projeté dans un récit de Merlin l’Enchanteur.) Méfiante, mais à l’écoute de mon projet. Nous improvisons notre « studio » sur la terrasse.

Elle se prépare pour la prise de vue, arrangeant précautionneusement sa coiffe.  Finalement nous rapatrions le matériel à l’intérieur de la maison car le vent nous empêche de travailler dehors.

A la fin de la séance nous trinquons avec une bouteille de cidre, et je la remercie d’avoir accepté de poser gracieusement. En la quittant, je lui demande d’intercéder pour moi auprès de ses amies, les irréductibles Bigoudènes qui, elles, ont refusé de poser. Finalement, elles nous reçoivent le lendemain devant une assiette de palets bretons. Après une discussion, elles acceptent de poser, ayant pris conscience que leurs coutumes, quoique fugaces à l’échelle du temps, sont importantes comme témoignage culturel.

Je me demande quelles traces laisseront mes photos, qui sont mon écriture des civilisations éphémères, dans le futur, alors que nous vivons à une époque où l’on parvient à reproduire des photos virtuelles de la création de l’univers. Le temps se joue de nous.

Le lendemain, nous nous concertons avec Bruno et organisons la logistique pour réussir à faire entrer les hautes coiffes dans la voiture. Je prends en photo ???? En me regardant elle me dit qu’elle m’a déjà vu, peut-être dans un rêve.

Nous installons le « studio ». Elles nous laissent toute liberté pour bouger le mobilier. Il me faut arriver à faire ressortir les différentes nuances de noir, opération délicate. La lumière de mes flashes les gêne et je dois ne rater aucun cliché. En fait, ma photo préférée, fut la première; elle sera d’ailleurs choisie pour illustrer, dans les journaux, la conférence sur la Bretagne à laquelle je serai invité.

Les Bigoudènes nous racontent, avec tristesse, la honte de leurs petits-enfants quand elles les conduisent à l’école, où, d’ailleurs, la langue bretonne fut interdite pendant une longue période. Elles parlent avec nostalgie du passé et du sauvetage, in extremis, de leur héritage culturel. Nous retrouvons une partie de ce folklore dans les fest-noz, où nous dansons sur des rythmes venus du passé, en tapant du pied, en file indienne (nombre de ces danses avaient pour finalité officielle de tasser la terre avec des sabots de bois pour réaliser le sol d’une maison ou une aire de battage) ; musique répétitive qui conduit presque à la transe.

Un monde totalement à part. Un pays dans un pays. Une preuve que l’on peut intégrer dans la vie moderne ces particularismes traditionnels régionaux.

J’espère que le peuple breton saura sauvegarder son patrimoine si riche et si original.