Je désire voir une culture qui me fascine, car elle résiste à l’invasion mondiale : les Touareg du Sahara. Je voudrais voir le blanc, l’azur, le noir, couleurs transcendées par des formes de pensées différentes. Je voudrais avoir des rapports avec ces êtres d’une autre culture avec qui nous partageons la planète. Tout est unité, même si cette unité est faite de dissemblances.

Est-ce la chance ? Ou parce que je la provoque ? En tout cas le miracle se réalise ! Valeo supporte l’équipe de Luc Alphand, et nous nous entendons pour réaliser une série de photos dans le Sahara. La première chose qui me vient en tête est de faire un repérage au sud de l’Algérie à Djanet, à la frontière de la Libye. Je n’aurais jamais pensé qu’un désert aussi aride puisse présenter autant de diversités culturelles, historiques, paysagères. Je me retrouve devant des dunes, blanches ou noires, en passant par le saumon ou le rouge intense, qui scintillent au soleil et qui s’offrent à la voûte étoilée de galaxies et de soleils. Cette inhabituelle vision du ciel me fait penser, alors, que nous ne sommes peut-être pas seuls dans l’univers. Je vois des montagnes de pierres où restent, témoins d’une mer disparue, des peintures et des gravures rupestres où les félins côtoient les poissons.

Comment expliquer les vestiges des montagnes gigantesques qui se désagrégent et redeviennent poussière comme la vie elle-même, comme toute matière, comme nos corps ? J’ai la chance de rencontrer trois Touareg qui vont m’accompagner et me faire découvrir un patrimoine mondial de l’UNESCO : le Tassili. Nous pénétrons dans ce désert à la recherche des derniers nomades vivant dans cette contrée hostile. (Mais on comprend mieux, leur façon de vivre quand on a la chance de prendre un bain, nu, dans l’eau d’une oasis…)

Après quelques kilomètres, je tombe sur un rocher, aussi grand que la Tour Eiffel, où semble sculptée l’image du Christ et de ses apôtres et d’une femme avec son enfant dans les bras. Pour ne pas passer pour un illuminé je prends une photo. En bas de ce même rocher je découvre des traces de dessins datant d’au moins trois mille ans qui donnent une impression d’antiques rencontres sacrées intersidérales. Contrairement à d’autres, notre civilisation occidentale a perdu peu à peu, avec le matérialisme, sa spiritualité. Pourtant nous habitons tous la même petite boulette de terre, un petit grain dans l’immensité de l’univers.

Par tradition les Touareg offrent le thé et leur tente au voyageur. Pour notre bien-être. J’installe le « studio » la nuit pour conserver la sérénité que reflètent leurs visages. La façon dont ils posent, si naturelle, ne me surprend pas. Ce sont des hommes fiers et heureux. Ils me traitent avec respect et admiration. Les femmes, extrêmement timides, patientent derrière la tente. Ne sachant pas qu’elles attendent mon ordre, par ma faute, leur attente se prolongera de quelques minutes supplémentaires !

Leurs visages dignes s’inscrivent dans la « Mémoire des Couleurs ». La séance se prolonge tard dans la nuit. Personne n’a envie de dormir. Les femmes disparaissent aussi subitement qu’elles étaient venues,  nous laissant de succulents plats de dattes sucrées à l’arrière-goût de sel, de graines de couscous admirablement préparées, de viande de chèvre cuisinée à la perfection.

C’est alors que, dans les dunes, je vais vivre un moment exceptionnel.
Personne ne m’a informé qu’une éclipse de lune allait se produire. Soudain je vois l’ombre immense qui commence à recouvrir cette planète, créant dans le ciel des feux artificiels. Jamais je ne me serais imaginé pareil spectacle ! L’éclat de Jupiter et de Mars atteint son paroxysme, quand notre satellite, impuissant, se laisse violer par notre propre ombre jusqu’à n’être plus qu’un anneau bordé d’un rouge intense. Sur fond d’un noir opaque des milliers de petits points brillants. Sur l’un d’eux, peut-être, un petit bonhomme qui me ressemble, couché sur le sol, assiste-il, lui aussi, à ce fabuleux spectacle. Je rêve d’univers aux mille soleils et lunes pour inspirer tous les poètes.

Quand la lune sort de l’ombre les femmes font entendre leurs traditionnels youyous. Je reste immobile et muet pendant les deux heures qui suivent ce tableau. Cette journée m’a assommé : des milliers d’images imprégnées dans ma rétine.

Je fais l’impossible pour reproduire autant de beautés dans mes photographies.  J’en ai presque oublié le but de mon voyage : faire des photos de mannequins au milieu des dunes. Je me rends compte qu’amener une équipe de vingt personnes jusqu’ici est infaisable. Et je comprends que ce voyage je l’ai réalisé, surtout pour la mémoire des couleurs.